La réputation des épices malgaches, vanille, poivre, cannelle et bien d’autres n’est plus à faire. Aussi étonnant que cela soit-il, il s’agit pourtant de cultures dont l’introduction à Madagascar est récente. Pour comprendre ce phénomène, il nous faut faire un grand bond en arrière pour retourner au Moyen-âge et à la Renaissance afin de connaître le rôle et l’importance des épices à ces époques.
Un peu d’histoire
Dans l’art culinaire médiéval, les assaisonnements et les sauces, donc les épices qui y participent, tenaient une place prépondérante. Si cet usage des épices correspondait au palais des consommateurs, ils étaient tout autant un signe extérieur de richesse. Dans son livre, le « Viandier », le cuisinier Taillevent détaille les épices indispensables dans la seconde moitié du XV° siècle, aussi bien à la cuisine qu’à la pharmacopée : gingembre, cannelles, girofle, safran, noix de muscade, cumin, sucre et bien sur le poivre. En raison de leur coût, ces épices étaient réservées à une élite fortunée. Cet engouement entrainait des excès difficilement compréhensibles de nos jours. À côté de l’étalon or existait un étalon poivre officiellement reconnu. C’est ainsi qu’en 1526, la dot de la fiancée portugaise du futur empereur Charles Quint était évaluée en fonction de la valeur de 50 000 quintaux de poivre.
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Commerce des épices
Depuis la chute de Constantinople en 1453, l’Empire ottoman contrôlait la partie orientale de la Méditerranée et donc les routes terrestres et maritimes des épices en provenance de l’extrême orient. C’est afin, du moins en partie, pour s’affranchir de ce couteux monopole que les Portugais s’élançaient les premiers le long des côtes de l’Afrique dont ils avaient compris qu’il s’agissait d’un continent qui pouvait être contourné par le sud. En 1487, Bartolomeo Dias doublait le cap de Bonne-Espérance qu’il baptisait cap des tempêtes. En 1499, l’expédition de Vasco de Gamma revenait de son périple vers les « Indes » avec une cargaison de poivre. La voie était ouverte.
Le 10 août 1500, le navigateur portugais Diego Dias était le premier Européen à aborder Madagascar à laquelle il donnait le nom du saint du jour, Sao Laurenço. Les Portugais, suivis par les Espagnols, les Français, les Anglais et les Hollandais lancés dans la course aux épices durent déchanter. Aucune des ces épices si convoitées n’était cultivée à Madagascar. La principale « marchandise » que la Grande Ile proposait à l’exportation était des esclaves. Depuis le XVI° siècle, seul le riz, « vary » en malgache, pierre angulaire de l’alimentation, était disponible en suffisance. En 1698, un navire négrier américain rapportait des plants de riz malgache à Charleston en Caroline du Sud. Cette culture allait participer à la prospérité de cette région.
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Les épices qui font aujourd’hui la richesse de Madagascar ont donc une origine extérieure à la Grande Ile. La vanille, tout comme le chocolat avaient été découverts au XVI° siècle par les conquistadors chez les Aztèques. Le poivre est originaire de l’Inde et de l’Asie tropicale tandis que la noix de muscade était uniquement cultivée dans les îles Moluques devenues possession hollandaise.
C’est un français, Pierre Poivre (23 aout 1719 – 06 janvier 1786) qui va permettre à ces épices de se répandre. Après des études de théologie, le jeune Pierre Poivre embarquait pour l’extrême orient en mission d’évangélisation. Le gout de l’aventure allait l’emporter sur sa vocation religieuse. Pierre Poivre a vécu une vie digne d’un roman. Il sera tour à tour ou simultanément, horticulteur, botaniste, agronome, voleur pour la bonne cause, administrateur et intendant colonial, de l’île de La Réunion et de l’île de France, actuelle île Maurice. Il a survécu à des combats navals et, au cours de l’un d’eux, il perdait son bras doit. Gravement blessé, il était débarqué à Batavia, aujourd’hui Djakarta, à l’époque colonie hollandaise. Lors de ce séjour, Pierre Poivre brisait le monopole hollandais de la production de la noix de muscade et des clous de girofle en dérobant des plans qu’il réussissait à acclimater à l’île de France. Il créait dans cette île le plus célèbre Jardin botanique de son temps, « le jardin des pamplemousses » où il réussissait à cultiver, entre autres, letchi, anis étoilé, cannelle, avocassier et de nombreux arbres fruitiers. Outre ses succès de vulgarisateur, il faut créditer Pierre Poivre de son opposition à l’esclavage.
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Pour revenir à Madagascar
C’est à partir de 1755 que le manioc était cultivé dans la Grande Ile. En 1769, la colonie française de Fort Dauphin introduisait la culture du figuier de barbarie, originaire du Mexique. Une fois les épines de ce fruit ôtées, il permet de nourrir et d’hydrater les zébus ce qui allait entrainer la sédentarisation des pasteurs du sud de l’île. En 1803, le clou de girofle faisait son apparition. À partir de 1840, aussi bien à la Réunion qu’à Madagascar, c’était sans grand succès que la vanille était cultivée. Il fallait attendre qu’un jeune esclave réunionnais du nom d’Édouard dit Albius découvre la méthode de la pollinisation qui consiste à coupler manuellement organe mâle et organe femelle de chaque fleur de vanillier. Grâce à cette méthode, la culture de la vanille allait rencontrer le succès qui est le sien. Cela n’empêchait pas Édouard dit Albius de mourir dans la misère en 1880.
La gastronomie malgache
Toutes ces épices ont enrichi la gastronomie malgache qui reflète les influences des migrants venus d’Asie, d’Afrique, d’Inde, de Chine et de France. En malgache, manger se dit « mihinambary » ce qui signifie littéralement manger du riz qui représente 60% de l’alimentation quotidienne. Ce riz est accompagné par le « laoka« qui est une sorte de sauce à base de légumineuses, de viande ou de poisson.
Toujours accompagnés de riz, on peut citer quelques plats emblématiques de la cuisine malgache comme le « romazave », sorte de pot au feu. Citons également le « rougail ». Si ce nom de plat est répandu dans tout l’océan Indien, celui de Madagascar offre la particularité d’être servi cru. Il s’agit d’un mélange à base de tomates concassées auquel, selon les régions sont ajoutés oignon, ail, piment et gingembre. Ce mélange accompagne aussi bien des saucisses que du poisson. La liste serait bien courte si on se contentait de ne rajouter que le « ravitoto » aux feuilles de manioc doux, pilées, cuites avec de l’ail et de la viande porc, en oubliant une multitude d’autres plats. Chaque région malgache possède ses propres spécialités qui font appel aux ressources locales ; chacune sera une découverte. Comme il est dit, les différentes vagues d’immigration ont également enrichi la gastronomie de la Grande Ile, comme le pain, le foie gras et le confit de canard français, sans oublier la cuisine chinoise et ses plats traditionnels ainsi que l’apport indien.
En voyage, tous les sens doivent être en éveil, à l’affut de l’inattendu. Il est un sens qu’il serait dommage de ne pas solliciter, celui du goût. Alors, comme on dit en malgache : « mazotoa homana« , autrement dit bon appétit.
Proche de l’association depuis ses débuts, Gérard écrit pour le blog depuis sa mise en ligne. Il y a quelques années, Gérard Naal a réalisé combien l’histoire de Madagascar était méconnue tant des Français que des Malgaches, il a donc regroupé notes et comptes-rendus de nombreuses publications universitaires pour rédiger un livre disponible ici.