Retour sur l’histoire des boutres et des goélettes à Madagascar.
Un peu de littérature
Au début du XXe siècle, un jeune aventurier du nom d’Henri de Monfreid marche sur les traces du poète Arthur Rimbaud. La littérature ne l’intéresse pas encore, pas plus que la vie des comptoirs coloniaux où il étouffe. En 1913, il s’installe à Djibouti et il y achète un boutre. Avec un équipage dévoué, toutes voiles dehors, narguant les autorités, il se lance avec plus ou moins de succès dans le trafic des perles, des armes, du hachich et de la morphine sans oublier le khat. Les feuilles de cette plante qui sont destinées à être mâchées contiennent un stimulant et un euphorisant dont les effets sont analogues à ceux de l’amphétamine. Pendant près de quarante ans, il hante les rivages de la mer Rouge et de la corne de l’Afrique. Sur les conseils de Joseph Kessel, en 1931, il publie le premier récit de ses aventures sous le titre « les secrets de la mer Rouge ». Les écrits d’Henri de Monfreid, quelque peu édulcorés, entrent dans la collection de la Bibliothèque Verte où ils rencontrent un vif succès. Ils soulignent la supériorité de l’Européen sur les autochtones et le mépris que mérite une médiocre et mesquine autorité coloniale. Ces récits vont enflammer l’imaginaire de milliers d’adolescents qui vont vivre par procuration d’exaltantes aventures à la barre de ce navire jusque-là inconnu, le boutre.
Ses caractéristiques
Le boutre, botry ou botsy en vezo, a été diffusé par les navigateurs arabes il y a plus de 1000 ans. Le terme de boutre recouvre une variété de navires forts différents les uns des autres. On les retrouve de l’Indonésie à Madagascar en passant par l’Inde, la péninsule arabique, Djibouti, le Kenya et les Comores. Malgré tout, ils possèdent un certain nombre de caractéristiques communes. Ce sont de solides bateaux en bois destinés au transport de marchandises diverses. Les uns présentent une poupe carrée, pour d’autres, elle est pointue, tandis que leur étrave est longue et élancée. Leurs coques sont larges et mesurent le tiers ou quart de la longueur. Selon les dimensions du boutre, ils sont gréés de un ou plusieurs mats inclinés vers l’avant. Ces mats portent chacun une voile trapézoïdale, dite voile arabe qui rappelle la voile latine méditerranéenne.
Moyen de transport économique
Les plus petits boutres ne mesurent que huit mètres de long pour un tonnage de cinquante tonneaux alors que le tonnage des plus grands peut atteindre cinq cents tonneaux (le tonneau est l’unité de mesure de la capacité intérieure d’un bateau, Il vaut un peu moins de trois mètres cubes). Dépourvu d’instrument, les boutres naviguent à vue, c’est le sens marin et les connaissances empiriques transmises de puis des siècles qui l’emportent. Ils sont rarement équipés d’un moteur, et la simplicité du gréement permet de se contenter d’un équipage réduit. Ces navires sont particulièrement marins à toutes les allures, aussi bien au près qu’au plein vent arrière qu’au grand largue. Grâce à leur faible tirant d’eau, ils peuvent se faufiler et accoster un peu partout afin de livrer les cargaisons les plus diverses. Cela permet de ravitailler les villages de la côte, surtout quand la saison humide rend les routes et les pistes impraticables. Ce sont des moyens de transport particulièrement économiques. Le contrat de cabotage stipule qu’un tiers du prix total de la course revient au propriétaire qui fournit le bateau. À charge pour lui d’assumer toutes les dépenses, d’où l’intérêt d’un équipage réduit.
De Mahajunga…
Le port de Mahajunga régulièrement ensablé ne dispose pas de port en eau profonde et l’on peut admirer le ballet des boutres qui viennent accoster après avoir parcouru le canal du Mozambique. En ces lieux, les boutres ne sont pas les seuls navires traditionnels que l’on peut découvrir. Au début du XX° siècle des charpentiers réunionnais d’origine bretonne se sont installés à Morondava. Avec l’aide financière du général Galliéni, ils ont créé un chantier de construction de goélettes d’inspiration européenne. A contrario des boutres, ces goélettes répondent à un tracé précis et sont équipées d’un gréement aurique. De nos jours, on parlerait d’un transfert de technologie. Chargés de sel, de riz, de sucre ou de bière, ces navires ravitaillent les villages disséminés tout le long de la côte ouest de Tuléar à Nosy Be.
…A Morondava et Toliara
Outre Morondava et Tuléar, les derniers chantiers de construction de ces bâtiments traditionnels se rencontrent également à Belo sur Mer. Si la construction d’une goélette répond à des gabarits précis, il n’en va pas de même pour les boutres. Le maître charpentier, le « fondy », travaille sans plan dessiné à l’avance en utilisant hache, scie et autre herminette. Tout est dans l’œil et la main, les outils modernes lui sont inconnus. Avant de se lancer dans la construction de l’un ou l’autre de ces navires, il faut réunir les capitaux, la main d’œuvre et les matériaux, ce qui peut se faire en quelques mois… ou quelques années ! Tout dépend des ressources financières du donneur d’ordre. De nos jours, c’est une vingtaine de goélettes qui est construite par an.
Un avenir incertain
Malheureusement, on ne peut qu’être dubitatif quant ‘à l’avenir de ces embarcations traditionnelles qui sont, petit à petit rattrapées par ce que l’on désigne sous l’appellation de « progrès » et dont l’espérance de vie dépasse rarement vingt à vingt-cinq ans. D’autre part, le gouvernement malgache protège de plus en plus les forêts où les constructeurs de boutres et de goélettes se procurent de manière de moins en moins légale le bois nécessaire à leur activité. Un navire d’une centaine de tonneaux nécessite l’abattage d’une cinquantaine d’arbres de quatre ou cinq espèces locales différentes. Dans quelques années, boutres et goélettes seront devenus ce que l’on appelle sur nos côtes des vieux gréements juste bons à promener des touristes.
Depuis les années 1990, de grands bouts motorisés ont fait leur retour aux mains des pirates dans le détroit de Malacca, la côte des Somalis et le golfe d’Aden. Ils jouent le rôle de bateaux mères à de rapides canots motorisés qui s’efforce d’arraisonner les navires de commerce qui passent à leur portée.